Sarah Forst & Lucile Grémion
MILK BAR écrit et photographié par Sarah Forst et Lucile Grémion.
Allaitement chéri, allaitement ennemi.
Voilà plus de cinq mois que je nourris mon fils à la seule force de mes deux seins, goutte après goutte. C’est de l’ordre du merveilleux, de la magie. Je propose, mon fils dispose. Je suis sa nourriture. Je suis son fluide. Il me mange, me dévore parfois. Littéralement il me boit. Mon amoureux me dit que je suis résignée, moi je dirais même que c'est de la pure abnégation. Quand j'y pense, que je raisonne sur la simplicité et l’animalité du geste, je trouve ça vraiment estomaquant. Oui estomaquant. Je suis frappée au corps. Et d’ailleurs mon corps, il en pense quoi lui ? Mon corps chérie, là, il s’essouffle. Je suis fatiguée. Je veux récupérer mes seins.
Je veux récupérer mon corps.
Ce corps-maison, ce corps-nourriture, voilà une grosse année qu’il n’a plus été mien et je me sens presque coupable de ressentir cela. C’est le paradoxe de la mère. À la naissance de mon fils, je me suis divisée. Une partie de moi s’est détachée de moi. L’allaitement était une manière de garder un lien charnel très puissant. Il est temps aujourd’hui - et j’en ai besoin - que ce lien se transforme. Désormais, le lien perdurera dans l’invisible, je vais nourrir mon fils d’amour, de caresses, de bisous et de belles pensées.
Je tire beaucoup d’enseignements d’avoir nourri mon fils. Le premier est que le corps est une redoutable - si ce n’est la meilleure - machine et que cette machine sait. Elle est sage. Le corps est sage, le corps sait. Le deuxième enseignement. Le deuxième enseignement est que l’amour nourrit aussi, c’est la nourriture originelle de l’âme.